Réveillon de Noël Vendredi 24 Décembre 2776
Le Physeter Catodon siégeait en orbite géosynchrone de Halia Leucothea Alpha, première colonie -principalement humaine- du système stellaire Tau Ceti. Le luxueux yacht spatial de la famille Kermadec, un Oxmëyer-Sullivan quelque peu boosté, battait pour l’heure pavillon des réjouissances de Noël. Le réveillon célébré en famille tirait sur sa fin. Morgane et Erwann Kermadec venaient de mettre au lit leurs deux filles jumelles, Clémentine et Eléanore, après le déballage des cadeaux au pied du sapin dans la grande salle à manger du vaisseau. Il était largement passé minuit, heure locale de Alpha, et pour deux filles de même pas six ans, il avait été plus que temps de les envoyer au dodo, non sans s’être auparavant souhaité un traditionnel Joyeux Noël accompagné des papouilles de circonstance et de gros câlin à Nelson, leur facétieux familier. Celui-ci n’avait pas été oublié à la distribution des cadeaux. Un tonneau de vingt kilos de croquettes au vâchon tricéphale de Fergus et à la mangoule de Procyon lui avait valu de faire une légère chorégraphie aérienne de joie, slalomant entre les beaux meubles de la salle à manger et les luminaires accrochés au plafond, sans oublier les guirlandes de Noël zigzaguant d’un meuble à l’autre, en altitude. Nonobstant sa masse corporelle relativement imposante, il savait faire montre d’une grande délicatesse. Le réveillon s’était déroulé comme à l’accoutumée en ce genre d’occasion. Ils avaient dégusté des huîtres creuses des bassins ostréicoles des pêcheries de Halia Leucothea Alpha, pour enchaîner avec du foie gras de dorade bicéphale de Lambda Aurigae. Ensuite, Morgane Kermadec-Lafayette, en bonne maîtresse de maison, avait été chercher dans le four à air pulsé la dinde farcie par ses soins dans l’après-midi. Un authentique régal, farcie aux criquets pèlerins de Luyten 789 et aux lentilles de sable de Hélénos, avec un gratin dauphinois et une salade d’algues de Aqua-Nova. Ils avaient dégusté quelques bons vins, et leurs filles, de la limonade aux agrumes de Bêta Canopus. Maintenant, Morgane et Erwann sirotaient un digestif, confortablement installés dans le grand divan en cuir blanc du petit salon attenant à la salle à manger. Elle portait pour la circonstance une courte et échancrée robe en satin bleu irisé de Ness, en harmonie avec ses yeux bleu azur, mettant en relief un corps magnifique et élancé de sportive, à la discrète mais bien présente musculature. Sa longue chevelure brune était comme à son habitude raisonnablement en pétard. Il s’était fait élégant, aussi, jeans noir légèrement élimé, santiags, chemise blanche à jabot façon renaissance. Il avait attaché ses longs cheveux châtains avec un lacet de cuir et ordonné son bouc avec une perle de bois exotique. Son regard émeraude exprimait la joie en ce soir de Noël, trêve qu’espéraient connaître les innombrables effectifs que comptaient les rangs des Forces Armées Spatiales de l’Alliance Terrienne Unifiée en poste tout au long de cette invisible frontière avec l’ennemi des Hyades, qui, en cette période soi-disant de trêve de Noël, avait frappé un coup virulent et inattendu en anéantissant la base avancée implantée sur un planétoïde du côté de HD 27483. Peut-être venait-il juste d’y penser, car son sourire déserta son visage. Cela n’échappa pas à sa femme.
-Tu pensais au poste avancé de HD 27483, à voir la mine que tu tires ?
-Oui. Je me dis que nous avons bien de la chance, bien au chaud dans notre beau Physeter Catodon. Je ne peux m’empêcher de penser à ces malheureux, qui en cette période de Noël auront donné leur vie, et n’auront pas l’occasion de voir se lever l’aube de l’année 2777.
Il but une longue gorgée de Ardbeg seize ans d’âge, ponctuée d’un claquement sec de langue. C’était son cadeau, de la part de sa bien-aimée. Il lui avait offert un magnifique pendentif en cristal de roche de Freyr qui décorait avantageusement sa poitrine, au niveau de la naissance des seins. Clémentine et Eléanore avaient reçu chacune un rack multi-effet pour guitare électrique Westwood dernier cri qu’elles s’étaient empressées de tester en même temps qu’ils prenaient la bûche de Noël traditionnelle.
-Nous en avons bavé, dans cette guerre avec d’abord le Fléau, et ensuite ces ordures des Hyènes des Hyades, sans parler de la vendetta menée par la section Améthyste encore bien avant ! Je te rappelle que les envoyés de Tau Ceti, c’est nous, et les héros de Gliese 176, c’est nous aussi. Nous avons manqué de laisser notre peau à bien des occasions ! rappela-t-elle.
Elle vint chercher le réconfort dans son bras posé nonchalamment sur le long dossier du divan. La musique que diffusait une invisible chaîne haute-fidélité s’apparentait à un métissage de jazz et de musique traditionnelle d’Europe de l’Est, sur la Terre.
-Tu as raison, immanquablement. Quand est-ce que cette guerre finira-t-elle ? se rendit-il, impuissant.
-Nul ne le sait. Tu voudrais reprendre du service ?
-Avec les enfants, c’est difficile. Et c’est notre priorité !
-La première. On pourrait accomplir des missions de liaisons de notre côté des lignes, avec un seuil de risque minimal, qu’en penses-tu ? proposa-t-elle.
Elle porta sa coupe de vin rubis de Chléïonnée à ses lèvres et dégusta une longue gorgée.
-On l’a déjà fait, et c’est vrai que cela décharge un peu les commandements locaux, loin des colonies importantes de l’Alliance Terrienne Unifiée.
-Et bien voilà, nous avons coupé la poire en deux ! Nous irons voir notre Grand-Amiral préféré d’ici quelques jours !
-J’ai quand même fait mes classes dans les Forces Armées Spatiales, chassez le naturel, et il revient au galop ! galéja-t-il. Il avait retrouvé le sourire.
-Et moi, dans les Forces Armées Terrestres, spécialisée armes blanches et corps-à-corps, l’eusse-tu oublié !
D’un souple et athlétique déhanchement, elle se retrouva sur ses genoux. Il manqua de lâcher son verre au nectar tourbé et puissant. Il le posa délicatement. Elle fit de même. Un instant plus tard, elle était scotchée à son coup. Leurs bouches se trouvèrent bien vite unie par un baiser languide, alors qu’elle faisait glisser bas sa courte robe d’une main, et de l’autre, elle détachait la ceinture du jeans de son homme, bien décidée à transcender ce réveillon de Noël. Ils se sentaient l’un et l’autre gagnés par un impérieux désir auquel il était hors de question de se soustraire. Quelques instants plus tard, ils étaient enlacés sur le grand divan de cuir blanc, nus comme au premier jour, à se délecter d’une joute érotique, les menant assez rapidement au paroxysme d’un orgasme libérateur et partagé. Ereintés, ils s’affalèrent dans les bras l’un de l’autre.
-Joyeux Noël ma chérie !
-Joyeux Noël mon cœur !
Ils échangèrent un long baiser, tendrement enlacés.