François Guillaume | Nouvelles | Saison 2

Premier indice

La passerelle de commandement du Physeter Catodon était en effervescence. Effervescence causée par la découverte que venaient de faire les parents au cours de cette courte intrusion sur Farlhangn et la visite de cette incroyable réplique du sphinx de Gizeh. Les quatre enfants, manifestaient une joie communicative à la vue de la découverte faite par les parents. Un des nombreux écrans repassait le court film réalisé par Roxane à l’intérieur du sphinx. Les deux mamans avaient pris le temps de se changer, adoptant un « dress code » nettement plus relax, voire minimaliste, en regard de la combinaison de vol où de l’austère scaphandre spatial. Girly de principe et short en jeans particulièrement court. Le papa avait opté pour un bermuda multicolore et un T-shirt célébrant la bière Mayflower Amber, à la création de laquelle il avait activement participé pendant le trajet aller vers la Galaxie d’Andromède, pas loin de sept années auparavant. Depuis, cette excellente bière ambrée avait gagné ses lettres d’or, et se trouvait commercialisée un peu partout dans les colonies de l’Alliance Terrienne Unifiée. Brendan s’en revenait de la cuisine du bord, au pont 3, chargé d’un plateau recelant trois représentantes de cette remarquable bière ambrée, qu’accompagnaient trois berlingots de jus d’agrumes de Bêta Canopus et un jus multi-vitamines pour le petit Dylan. Ce dernier gazouillait musicalement depuis son confortable fauteuil installé sur une non-moins confortable banquette assignée à la console scientifique secondaire du vaste poste de commandes du yacht familial. La distribution des collations se fit dans la bonne humeur. Ils portèrent un toast tous ensemble à la future découverte, du moins l’espéraient-ils, de cette fameuse colonie atlante oubliée. Après avoir avalé une longue gorgée de l’ambré nectar, Roxane, Morgane et Erwann se recentrèrent sur l’étude des suites de symboles, surtout de la troisième suite aux deux symboles inconnus. L’informaticienne avait lancé une séquence de reconnaissance de motifs. Au vu du côté un peu abstrait et naïf de ces deux symboles-là, cela promettait de prendre un certain temps, surtout qu’elle avait particulièrement affiné les critères et paramètres de l’algorithme de recherche. Le programme d’identification tournait à plein régime, proposant des cohortes de correspondances possibles, rejetant automatiquement les plus improbables.

-Bon, je crois qu’on a le temps de s’en boire une autre, qu’en dites-vous, les filles ?

-Bah, j’en dis que c’est une très bonne idée ! Je fais le service, et au passage, je vais en profiter pour alléger ma vessie.

Sur ces quelques mots accompagnés d’une œillade malicieuse, Morgane s’éclipsa du saint des saints de leur vaisseau pour une petite reconnaissance jusqu’aux commodités ainsi qu’à la cuisine de bord. Au passage, Roxane lança une petite requête alors qu’elle passait la double porte coulissante communiquant avec la coursive principale du pont 4.

-Tu fais pour moi, ma chérie !

-Hmmm… répondit la concernée, se hâtant vers les infrastructures de vie du pont 3.

Le Physeter Catodon maintenait son orbite géosynchrone à quelques kilomètres d’altitude, pile poil au-dessus de l’incongru monument. Roxane venait de partir quérir une troisième tournée de Mayflower Amber, alors que le programme d’identification de motifs tournait de plus belle. Il commençait à y avoir un certain nombre de correspondances possibles, qu’Erwann et Morgane analysaient en ce moment. Dylan roupillait, pendant que ses trois frères et sœurs aînés disputaient une partie de Monopoly Star Wars. Nelson avait abandonné la passerelle de commandement et sa gaine de câblage favorite pour aller rejoindre le reste de la ménagerie sur le pont 2.

-Si mes souvenirs sont bons, notre escapade sur Sauria Prime l’autre jour, au département des archives d’état, les pistes possibles faisaient état de Cygnus X-1, mais également de M 51 ainsi que le bras du Sagittaire, isn’t it ?

-Il est vrai, ma chère !

-Regarde un peu ce motif, mon cœur, en superposition avec l’identifiant ici.

Elle fit glisser un des nombreux identifiants sélectionnés, qu’elle amena par-dessus le dernier symbole de la troisième suite. Le résultat, à quelques infimes détail près, était bluffant.

-On dirait bien que nous avons trouvé un premier indice ! s’enthousiasma-t-il.

Roxane débarqua à cet instant de la cuisine, une triplette de Mayflower Amber à la main.

-Alors ?! demanda-t-elle, avec un grand sourire.

-Notre Morgane nationale vient de faire une découverte majeure, dans le cadre de notre quête !

-Génial ! s’exclama-t-elle, en déposant les bières devant eux.

La superposition d’une représentation de l’amas ouvert M 52, dans la Constellation de Cassiopée correspondait à s’y méprendre avec le cinquième symbole.

-N’était-ce pas censé être M 51, d’après les archives d’état des lézards ?

-Oh, mon chéri, tu sais comme c’est antique, de plus, à l’époque de l’Atlantide, nos ascendants n’avaient visiblement pas encore un système de classement d’archives très au point, contrairement à tant d’autres disciplines dans lesquelles ils excellaient déjà !

-Rien ne nous empêche d’aller mener une petite reconnaissance jusque là ! suggéra l’informaticienne, avant de porter la bouteille de bière à sa bouche.

-Bien sûr ! Dans l’immédiat, je pense que nous n’aurions pas volé quelques heures de sommeil, qu’en dites-vous mes amoureuses ?…

-On finit notre bière, on met les gosses au lit, on vérifie les statuts du navire, et ensuite on s’occupe de notre beau mâle, qu’en penses-tu Rox’ ?!

-Hmmm… j’ai hâte… murmura-t-elle, le regard humide, et la bouche en cœur.

Elle plongea une main intrusive dans le bermuda de celui qui allait une fois encore, les combler de volupté, palpant un membre qui manifestait déjà un franc désir.

Un bon quart d’heure plus tard, dans un état de nudité qui les vit naître et affichant d’impérieuses manifestations d’une soif de sensualité inconditionnelle, ils se retrouvèrent tous trois passionnément enlacés sur le grand water-bed de leur chambre aux rideaux en dentelle de Bruges défendant la baie panoramique donnant sur Farlhangn, HD226868 et Cygnus X-1.

Ils devaient dormir depuis peut-être trois heures, quand le signal sonore caractéristique d’alerte d’intrusion dans le périmètre de sécurité extérieur du Physeter Catodon se mit à résonner un peu partout à bord du yacht familial endormi. Un roulis insistant avait pris possession du vaisseau. Ils émergèrent de la couette Snoopy en pagaille, prirent juste le temps d’enfiler slip ou petite culotte, et se ruèrent à la passerelle de commandement sur le pont supérieur. Du côté des chambres des enfants, c’était le remue-ménage. Dylan pleurait, aussi sa mère dut-elle le rassurer par le lien télépathique l’unissant avec son fils, tout comme avec ses deux compagnons, depuis un certain rituel d’union sur une planète glaciaire perdue dans la Galaxie d’Andromède. Après tout, c’était au cours de leur nuit de noces là-bas que la petite graine avait été plantée au plus profond de ses entrailles, pour la plus grande joie de trois adultes épanouis et terriblement épris.

Arrivés dans le centre névralgique du vaisseau, ils furent surpris par plusieurs choses. La première était cette image venant du sol de Farlhangn que retransmettait un écran holographique, qui montrait le sphinx irradiant d’une lumière crue, éclipsant par là-même l’éclat de HD226868. La seconde était cet étrange appareil, dont le visuel apparaissait sur un autre écran, croisant à petite vitesse à une dizaine de kilomètres de la proue de l’Oxmëyer-Sullivan. On aurait dit un oursin d’acier sombre, truffé d’acerbes excroissances, dont quatre particulièrement longues, et proposant à quelques endroits de sa coque à peu près sphérique des étendues planes réfléchissant la lumière stellaire. Son diamètre approchait de la vingtaine de mètres, aux relevés de l’affichage. Et la troisième, et non des moindres, était qu’absolument toutes les consoles de la passerelle étaient éteintes, et parcourues çà et là d’arcs électriques aléatoires. Exception était faite de celles alimentant les deux écrans holographiques. Erwann se jeta sur la console de navigation, alors que les deux jeunes femmes bondissaient, l’une à celle desservant les systèmes de sécurité du navire et l’autre à celle préposée aux armements et systèmes de défense. Les enfants, suivis d’un Nelson très agité, accoururent, en pyjama. Brendan berçait son petit frère qui semblait fort calme depuis que sa mère lui avait communiqué d’apaisantes ondes psychiques, et ce malgré le chaos environnant.

-Quelque chose, ou quelqu’un a pris le contrôle des systèmes primaires ! aboya Roxane, en proie à un début de panique.

La belle informaticienne n’était pas réputée pour une bravoure légendaire. Il faut bien reconnaître également que le tangage de mauvaise aloi dont était victime leur vaisseau n’augurait rien de vraiment emballant…

-Morgane, as-tu accès aux inverseurs de polarité des systèmes secondaires ?

-J’y travaille !

Elle venait de sortir d’un espace de rangement un appareil évoquant un tournevis à options, et accroupie en-dessous d’une console, secondée d’un éclairage d’appoint, elle fourrageait dans des entrailles composées de câbles, de relais, de contacteurs, de tubes, de cristaux et de fibres optiques. Des flashs lumineux aléatoires en émanaient, ponctués parfois d’un juron que le bon goût passera sous silence.

-Ça donne quoi ? s’inquiéta Roxane, qui tentait désespérément de relancer l’informatique du Physeter Catodon.

-Il y a mieux, mais c’est plus cher !

-Allez, démarre, meeeerde !

Il essayait de son côté, un by-pass manuel du verrouillage de la console de pilotage, sans grand succès. Les enfants regardaient, impuissants, s’affairer leurs parents. A l’extérieur, l’étrange engin continuait son chemin. Il était maintenant environné d’un champ d’énergie pulsant aléatoirement. A un des deux affichages holographiques, la distance le séparant de l’Oxmëyer-Sullivan familial s’amenuisait. Soudain, une, puis une autre, puis encore une autre console reprit vie, suit à un shunt audacieux tenté et réussi par celle qui tripatouillait la tripaille technologique.

-Yesss ! Mon cœur, tu nous sors de là ! s’exclama-t-elle, jaillissant tel un diable hors de sa boite, d’en-dessous de la console dont elle venait de refermer les œuvres vives d’un claquement sec et précis.

Son abondante tignasse en pétard gorgée d’électricité statique évoquait la coupe de cheveu du chanteur d’un groupe de new-wave anglais des eighties. Son sourire était désarmant, un mélange de soulagement et de joie. Elle avait le haut de la poitrine, les seins, les épaules, et les bras maculés de poussière grasse et sombre, résultat d’un lasser-aller pour le nettoyage intérieur du hardware… Roxane vint la prendre dans ses bras, ne cachant pas son euphorie. Elles s’embrassèrent délicieusement.

-C’est comme si c’était fait, mes amours ! Nous allons faire le point chez nous !

-Une bonne douche ne sera pas un luxe ! Et il faudra penser à faire un nettoyage approfondi du hardware plus régulièrement, pointa-t-elle, pragmatique, un sourire amusé illuminant son beau visage.

Un court instant plus tard, le Physeter Catodon franchissait un vortex, aux yeux et à la barbe du visiteur inconnu qui avait tenté de le piéger, les ramenant dans les cieux rassurants de Halia Leucothea dans le système stellaire de Tau Ceti.

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